Monsieur | ||
J'ai l'honneur de Vous adresser mon livre sur Beethoven. Livonien, l'allemand | ||
est ma langue maternelle; habitant de Pétersbourg j'ai crû devoir écrire en fran- | ||
çais. J'imagine du moins avoir écrit dans cette langue quoiqu'on en ait douté | ||
et fort douté même. Vous trouverez peut-être que mes points de vue sont | ||
35 | nouveaux pour ne pas être toujours justes au dire des critiques, qui ne m'ont | |
Oktober 1852 — HSA Bd. 27, S. 73 | ||
pas manqué. Vous voudrez prendre connaissance d'un livre écrit dans des | ||
conditions d'art autres que celles qu'on connaît à Paris. J'ai 43 ans, je connais | ||
neuf langues, j e p e n s e e n d r o i t r o m a i n et suis conseiller d'Etat ce qui | ||
n'implique point une position élevée mais une éxistence éprouvée, pex–x | ||
5 | pendant laquelle il était assez difficile de trouver le tems de penser encore, | |
comme je l'ai fait, un livre, pendant vingt ans. | ||
dit du romaniste H u g o de Göttingue: närrscher Mann der die Bäume von | ||
oben kappt (interdictum de arboribus caedendis) – Vous ne lirez peut-être | ||
pas sans intérêt les élucubrations artistiques, très – sincères du moins, d'un | ||
10 | romaniste-musicien. Je n'appartiens pas à l'art, délivré du fatras de l'école, | |
j'ai pu mouvoir plus librement et parler d'art sans avoir pris une patente. | ||
Vous qui avez encore dit qu'un Livonien qui se dit être Russe, ressemble | ||
à un hareng qui se dit être baleine et qui avez eu bien raison; Vous voudrez | ||
compâtir à l'épreuve difficile à subir par le hareng, au creuset sans pitié de la | ||
15 | langue française, dont, plus heureux en cela, Vous vous êtes fait une seconde | |
langue maternelle. Veuillez montrer quelque | ||
qui, comme Vous, commença par penser en allemand avant de penser en | ||
français. Je regarderais comme une récompense de mon labeur, que le livre | ||
pût Vous donner l'idée d'un article dans la Revue des deux mondes ou tel | ||
20 | autre journal, où Vous exprimeriez V o s idées sur le premier Consul de la | |
musique instrumentale; sur telle idée émise par le livre. Il y a des idées | ||
dans le livre. Il est des choses sur lesquelles un auteur même ne s'abuse pas. | ||
Vous n'êtes pas sans avoir pour amies quelques unes des poésies instrumen- | ||
tales de Beethoven; – veuillez les rechercher dans mon catalogue critique, | ||
25 | anecdotique et chronologique, Vous trouverez toutes les données éxistantes | |
sur un point donné, réunies en une seule; en regard. J'ai remué de fond en | ||
combles le grand ossuaire musical allemand (Allg. musik. Zeitung) 50 vol. | ||
in 4to; ce Père la Chaise de la critique. | ||
Enfin, | ||
30 | des idées. | |
Ne manquez pas cette occasion d'exprimer les idées que Vous avez acqui- | ||
ses, que Vous Vous êtes faites sur le langage musical, à Vôtre insû peut-être. | ||
Je ne jugerais point mes peines perdues si mon livre pouvait devenir l'occa- | ||
sion de les faire connaître. Je ne vise point à l'éloge mais je crois avoir mérité | ||
35 | l'attention, la simple attention d'un esprit comme Vous. Je suis encore l'auteur | |
d'un livre allemand: Aus dem Tagebuche eines Livländers, Wien bei Gerold | ||
1850. Il est anonyme. On m'a fait l'insigne l'honneur de le croire de Vous. | ||
Il est mieux écrit que mon Beethoven. Berlioz (Débats du 11 Août) me re- | ||
proche mes citations en allemand sans traduction. Il paraît qu'à Paris on | ||
Oktober 1852 — HSA Bd. 27, S. 74 | ||
sait quelquefois le chinois, l'allemand jamais. Permettez-moi de croire qu'un | ||
homme de Votre mérite, est encore l'ami de tout ce qui tient, en tant que con- | ||
seil, encouragement ou blâme mérité. J'espère donc que Vous voudrez me | ||
faire un petit mot de réponse si Vous ne jugiez pas la peine de parler du livre | ||
5 | par imprimé. Je Vous donne à cet effet mon adresse et suis depuis 30 ans | |
Votre fidèle lecteur et admirateur | ||
W de Lenz | ||
Conseiller d'Etat, maison de la Comtesse Orloff-Denissow. | ||
St. Pétersbourg. – | ||
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